Ils me tapent sur les Wagner avec leur Richard

Paris le 16 du mois de mars 1892 . Veille de demain.
Je n’ai jamais apprécié le statut d’élève mais je goûte en revanche celui de Maître ; 
de chapelle certes, mais la dénomination reste la même n’est-ce pas. 
Moi, Maître de chapelle de la Rose+Croix. 
Moi, Compositeur officiel pour le Sâr Palandan qui m'a ouvert les portes de son Temple.
Celui-là même qui m’appelle « mon frère », loue la mystique et dont les 7 péchés 
capitaux se nomment : cafés, cercles, journaux, caf'conc, jeux, sports et lupanars ... l'Occultissime y va fort. 
Si mes compagnons de bacchanales, noctambules camarades du Moulin de la Galette ou du Clou savaient ça ! J’entends déjà leurs éclats de rire s’élever au-dessus des nuages, survoler l’Europe à saute-mouton et résonner toujours aussi fort à l’entrée du détroit du Bosphore.                 
Mais le Bonhomme aimante le mondain et, j’ose le dire, m’offre un public. 

Un juste public ou …? 
Je ne trouve pas le sommeil. Dans les deux mains j’ai la tête, j’ai la tête à demain.
Je pense. J’appréhende. Plus qu’une nuit et « Le fils des étoiles » fera entendre pour la première fois mes accords à la galerie Duran-Ruel. 
Et ce satané public va t’il aimer ? M’aimer ?
J’aspire à peindre la musique comme joue du pinceau l’admirable et vénéré Puvis 
de Chavannes ; mais le Sâr Paladan veut de la choucroute Wagnérienne et j’ai dû composer un trompe-l’oreille. Le Sâr, malgré mon admiration, est un faiseur doué en paroles mais aveugle des oreilles ; il rêve « Le fils des étoiles » aux airs Bayreuthien ! 
Il veut de l’art total !? Partir de A comme Allemand pour aller jusqu’à Z comme Zut Zut et Zut !? Alors nous partirons de A, irons à B puis C mais je vous détournerais du chemin sans vous en rendre compte et retournerais à A ah ah ah !

Son prix de Rome sous un bras, son projet de wagnérie sous l’autre, nos pieds sous la table et nos culs sur des chaises, je disais il y a peu à mon très cher Debussy que Wagner, oui c'est beau, mais ce n'est pas nous. Faisons plutôt jouer et parler nos personnages, arrêtons grimaces et leitmotiv.  
J’aime vraiment bien Claude, j’espère qu’il m’aura entendu.
Et les autres aussi. Car oui, je le dis haut et fort : 
ils me tapent sur les Wagner avec leur Richard !

                                                                                                               Erik Satie ++


                                                                                       
                                                                                                                 

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